Catégorie : Été 2015

Eté 2015 – 5 – Gant

Ce n’était qu’un gant jeté par terre. Au milieu de toutes choses abandonnées. En quoi, je ne sais. Gants de peau, gants de chien, gants de fil. Il était aplati, deux doigts repliés, mudra dans le plan. Gant d’oiseau. Et dans le jour établi, vous n’en avez pas les gants, je songeais à la main qui le remplissait, gant bourré, et l’avait abandonné, avait fui, peut-être tranchée et bue par le fleuve, ou bien nue, caressant, enlaçant, enveloppant dans la ville où j’avançais, fil à gants, je tournais, je montais, et l’autre soustraite aux regards encore, lovée. Gants d’ambre, gants de jasmin, jusqu’à la nuit, seul dans la chambre. Au théâtre passent et jouent les visages, les cuisses, les bouches, souples comme un gant. J’écrase contre moi l’oreiller, et glissant, coulant, j’enlace. Elle perd ses gants pour moi. Mes bras se rencontrent sur mes épaules et sur mon dos, l’air de l’hiver, une caresse de plus en plus appuyée vers le cou. Un gant violet.

Eté 2015 – 3 – perdu

le plafond de fonte et de verre, je ne le toucherai jamais, je suis sur le carrelage, les comptoirs sont lisses, surgissent en bloc, je reviens, les mots criés, mélangés, un cylindre lisse et rose, courbé comme une banane, je suis arrêté, la voix est forte, venue du profond, les doigts sont larges, d’un souffle le couteau s’enfonce, la pointe présente une rondelle, je n’ai pas l’eau à la bouche, les bras et la tête sont posés dans l’espace, ils n’ont pas à disputer une place, je me retourne, la main tenue n’est plus là, des dos des ventres accolés, le fil est perdu, j’avance, plus rien n’est à voir, aucun visage, tout est à éviter, je sors du pavillon, je le contourne, je reprends la voie d’entrée, je ne sais pas sortir du carré

La cave: un carré

La cave: carrée. Au centre du sous-sol, sans fenêtre. Des étagères devant tous les murs. Ce qui est rangé, ce qui est en réserve. Les deux caisses de bois remplies de pomme de terre. Les cubes de bois des enfants grandis. On tiendrait à trois debout et serrés dans l’espace libre. En sortant, la bouteille de gaz bleutée et au-dessus le téléphone de bakélite. À main gauche, le garage, le tas de bois, le poste à souder, le congélateur allongé, la porte n’est pas fermée à clé pendant toute la journée, ou alors la clé est dans le jardin, sous un pot à fleur retourné. À main droite, le couloir des chaussures, une autre porte et l’atelier: les établis, les étaux, les vis, la sciure, l’odeur de graisse, la citerne contre le mur, et jamais l’espace en dessous ou derrière n’a été vu, l’évier pour l’impur, et à main gauche, la chaudière, tirer la porte, le foyer est assez grand pour accueillir un enfant, vide excitant les flammes et au-delà, l’espace pour rien, le plafond comme ailleurs nu, les travées de béton et entre elles les parpaings, pourquoi ne tombent-ils pas, et les fils pour pendre le linge. Au fond de la pièce vide, traversant le mur, la chambre aux deux lits, l’armoire et sa glace, et comme ailleurs, un vasistas, long et étroit, en hauteur. À main gauche, tirée la porte, un passage entre le mur et l’escalier, et dessous tous les livres des enfances rangés. En face de la porte exactement, c’est le noir. L’escalier mène à l’étage mais il y a une porte en haut.

La peur : un cube.

La peur : un cube. Ce qui est. Ce qui a été. Ce qui sera. Ce qui n’aura pas été. Ce qui n’est pas. Ce qui ne sera pas. Ce qui n’a pas été. Ce qui aurait pu être. Avant de la toucher, je sens son poids, l’odeur chaude. L’eau est transparente, bleutée, sans poisson, sans algues, sans mouvement, la surface étale, tendue, un miroir, une lame, et l’absence de sans fond. La peur de se pencher en arrière, les dents qui s’en vont, les mains qui s’approchent, les invitations à dormir, les cuisses qui s’écartent, entourent, se referment. La peur de revenir dans les langues, de se laisser aux phrases simples, de s’approcher, de consoler. La peur de venir. La grande peur du rêve et tu n’as pas peur quand tu devrais. A l’aube d’hiver tu es descendu dans la cave, et quand tu remontes, tu devrais être sur le chemin de l’école, il est tard, sans savoir comment le temps est passé.