Catégorie : Onzains

onzain #29

être chez soi comme un Anglais

être dans la nuit comme un voleur

être dans un couloir comme un peintre

être dans la musique comme un Gitan

être dans l’attente comme l’amnésique

être vers le vide comme un Navajo

être près de la mort comme un marin

être dans la plaine comme un Russe

être dans le rêve comme un aigle

être encore comme un survivant

être au lit comme deux amants un

onzain #28

je me souviens que Blaise Cendrars conduisait son Alfa d’un bras

je me souviens que Michel Foucault avait une Jaguar en Suède

je me souviens qu’avec ses droits d’auteurs Paul Morand se faisait construire des carrosseries sur mesure

je me souviens que Julien Gracq avais usé deux Deux Chevaux

je me souviens que la voiture de l’enfance était celle-là même que Marguerite Duras conduisait ivre

je me souviens que Jude Stefan avait une Ferrari d’occasion

je me souviens que Roland Barthes avait écrit la mythologie de la déesse

je me souviens d’une R5 blanche à côté de Maurice Blanchot sur le parking d’un supermarché sans savoir si c’était la sienne

je me souviens que Raymond Roussel avait inventé le camping-car

je me souviens que Jules Bonnot et ses camarades propageaient la bonne parole à bord d’une Delaunay-Belleville

je me souviens que ma voiture est sans nom

onzain #27

On doit écrire un poème pour son anniversaire

On doit célébrer les cendres et le vers est trop court

On doit pour un jour user de majuscules

On doit oublier de donner le couteau en offrande

On doit aller au paysage pour quelques heures

On doit se présenter à la douceur de l’être

On doit dire comme l’eau tombe des mots simples

On doit se taire être musique anonyme

On doit aimer sans chercher sans choisir

On doit être face aux dons dans la lumière

On doit méditer l’inanité du nombre

onzain #26

je t’attends comme on attend un fleuve

je t’attends comme on attend le fils

je t’attends comme on attend sel sur lèvres

je t’attends comme on attend seul

je t’attends comme on attend le vent mourant

je t’attends comme on t’attend, silencieuse

je t’attends comme on attend enfin

je t’attends comme on attend d’entendre un nom

je t’attends comme on attend la nuit devancière

je t’attends comme on n’attend plus l’amour

je t’attends comme on attend un chien pissant

onzain #25

tu dors cet instant rêve

tu dors à la conférence des murs

tu dors tes jambes s’ouvrent

tu dors la plaine unique est saison

tu dors une pierre sous le lit

tu dors le verre d’eau prie

tu dors longeant l’autre ailleurs

tu dors qui sourit ton sourire

tu dors le temps de plusieurs

tu dors ta pluie est silence

tu dors loin de ma phrase

onzain #24

– Que faites-vous dans la vie?
– Je fatigue.

– Que faites-vous dans la vie?
– Je caresse les courbes.

– Que faites-vous dans la vie?
– Je glisse glaçant.

– Que faites-vous dans la vie?
– Je m’oppose aux présents.

– Que faites-vous dans la vie?
– Vous, moi, et l’autour vaste.

– Que faites-vous dans la vie?
– Je passe des tours.

– Que faites-vous dans la vie?
– Je fais minuscules les miracles.

– Que faites-vous dans la vie?
– J’exhorte des questions.

– Que faites-vous dans la vie?
– Je mords à la douceur.

– Que faites-vous dans la vie?
– Des réussites, des patiences, des échecs.

– Que faites-vous dans la vie?
– J’ouvre la porte enfin.

Onzain #23

jusqu’à temps seras-tu double

jusqu’à temps seras-tu debout dans l’eau

jusqu’à temps seras-tu le reflet

jusqu’à temps seras-tu un pronom roide

jusqu’à temps ne seras-tu pas mon fils

jusqu’à temps seras-tu peine sur l’ocre

jusqu’à temps seras-tu là et lasse

jusqu’à temps seras-tu l’autre ici

jusqu’à temps seras-tu joue pour moi

jusqu’à temps seras-tu sans rive

jusqu’à temps seras-tu ce rêve

onzain #22

on ne considère pas assez les grilles

on ne dessine pas assez la mousse

on n’écoute pas assez les ascenseurs

on ne se plie pas assez au vent

on ne lit pas assez les murs

on ne fuit pas assez les îles

on ne perd pas assez de nombres

on ne danse pas assez pour la rouille

on ne pousse pas assez le temps

on ne rêve pas assez au ballast

on n’imagine pas assez les vides

onzain #22

je voulais le pli de la nuit

je voulais le souffle nôtre

je voulais rire aux chiens

je voulais la paix d’une cataracte

je voulais lire tes yeux dans le lit

je voulais plier des arbres en boule

je voulais être un secret

je voulais perdre un trait sur l’océan

je voulais boire des pierres

je voulais un livre aux pages du vent

je ne voulais l’or qu’à tes lèvres

Onzain #21

Je suis le problème.

Je suis la moitié de l’âme.

Je suis le prince.

Je suis une chaise.

Je suis fou sans espoir

Je suis ce goût.

Je suis la pierre.

Je suis au hasard.

Je suis père.

Je suis qui n’a rien à dire.

Je suis l’inutile.