#2052

Nuits – Milène Tournier

Je te parlerai comme de porter une table à deux, souples comme deux lions, souples comme deux lions dans des escaliers et porter la table sans cogner, et même si par ailleurs on serait raide, je te parlerai comme porter la table comme un enfant qui s’est endormi en bas et qu’on remonte dans sa chambre. Je te parlerai dans cette facilité-là de porter une table à deux et dans le tacite qui s’organise. Je te parlerai comme de porter une table à deux en parlant d’autre chose après seulement s’être assuré qu’on porte bien ensemble, qu’on a bien décidé et compris qui prend quoi et par où et alors on peut parler d’autre chose, sur le trajet d’aller du point où tout à l’heure encore la table était à un autre point où on la déposera. Je te parlerai comme parlent deux hommes qui portent une table, dans cette conscience-là d’être deux hommes, table contre ventre, deux hommes debout que sépare seulement la longueur de la table, contraints en même temps à la séparation et à l’inévitable rapprochement, de devoir tenir l’un et l’autre un bout de la table et alors d’agir avec table et corps de l’autre comme ils agissent en tout temps avec leurs propres mains, de déplacer ses propres mains dans l’espace sans que jamais la distance d’avec ses propres mains ne change. Je​ te parlerai dans cette tendresse-là que deux hommes qui portent une table ont finalement pour la table, pour ne pas l’avoir pour l’autre, pour que la tendresse immense que tout homme qui vit, tout homme qui un jour s’est réveillé sur la grande face de la terre, cette tendresse abondamment s’écroule sur la table entre les deux hommes. Je te parlerai comme deux hommes qui portent une table devant d’autres hommes et devant des femmes. Je te parlerai comme deux hommes portent une table dans une maison vide un dimanche de déménager et les pièces traversées une à une, je te parlerai comme deux hommes portent une table et l’un et l’autre ont, la semaine passée, vu, portée de la même façon, leur mère, le bois autour de leur mère, je te parlerai comme deux frères viennent de voir, porté, le cercueil de leur mère et désormais portent une table.

#2051

#2050

je ne sais ni le nombre ni le nom
des arbres des roches des papillons
des oiseaux invisibles de leur chant
unique est la montagne avec l’enfant

Oloé du 01/03/2025

#2048

sans secret
une phrase se répète

le temps de côté
revenant à la ligne

le rêve me rejoint
tu es sa neige

duel #48

Photographie de Chiara Vitellozzi @chiaravitellozzi

Il y eut. Un hôtel, une chambre, une porte. Le passé est cerné, à disposition des lents retours. Il a une forme, tu proposes celle d’une carte, à retourner, révélant des symboles mêlés, et béant, le mystère. Or, le jeu est ailleurs, celé hors de la lumière et entre nous. Cette peau en courbes, contemplée. Et l’autre peau pour l’autre regard. Épuisement des combinaisons possibles : toutes les étreintes sur la grande carte du ciel.

#2046

Lecture de Cinq lustres de Tibre Par Delphine Arras

Lecture de Delphine Arras (@delphinearrasSite)

Photographie de Linda Sorrenti (@lapidalagallina_0.2Site)

Texte de Tristan Mat publié sur Villes en Voix

Manifeste #2

Aux grands mots, préférer les nuages. Au lieu de parler, regarder les plis, les motifs. Mastiquer une phrase happée dans l’air ou dans une chanson, aimer les femmes que l’on n’aimera pas. Être une proie facile pour l’égarement immobile offert par la fatigue, la menace ou la promesse de la folie, l’ennui. Accueillir ce réveil porté par un regard net et lavé sur les choses inchangées : présence de l’univers en bloc. Éviter les récits édifiants : chutes de cheval, pleurs de joie de dix heures à minuit, vide sous le figuier, incendies sans retour. Vivre le sel du temps, seul encore dans les mots, comme est seul qui lit. Seul, seul presque.