Catégorie : Reste

Musique de l’ennui

Elle est parfaitement élevée, dressée, droite et assise, de profil, les cheveux lisses, nouées en une queue de cheval verticale, immobile, aux notes arpégées dévalant le clavier elle se lève d’un coup, se bloquant peu avant de rejoindre la station verticale et son bras enjambe la partition pour atteindre l’angle de la page double opposée et au dernier moment la tourne en l’amenant vers elle en même temps qu’elle se rassoit, puis bientôt se relève à nouveau et le mouvement oscillatoire, régulier, silencieux efface peu à peu les nappes, les volutes, les déroulements.

#375

C’est une mer. Étale. Le matin est loin. La chaleur s’est développée, elle donne le ton, contient, enveloppe. Chaque chose est en relation avec elle, et pour chaque chose c’est la relation privilégiée. Le ciel est une brume incertaine, incertaine même d’être brumeuse, l’écume un frisson. Tout est à plat: ne reste que la dimension de la fuite.

Traduction défiant l’auteur

moi, Tristan Mat,
traduisant ce poème,
défie Guy Bennett
de le nier.

#55

Un seul monde pour toute ces vies
Toute ces morts pour une seule lune
Une seule nuit pour toutes les heures
Tous les mots pour le seul silence

tre per tre

dans la tonne de l’été

entre les nodules du souvenir

attendant le vent

*

sueur mon suaire

une traduction parfaite?

sudore mio sudario

*

un carré impair

suit le nombre huit

découpe la journée

Généalogie

On en a trop des maîtres, des faux frères, des camarades, des pères putatifs, des soeurs indécises, des chiens infidèles, des arbres de sagesse, des poètes déchus, des livres à avoir lu, des prophètes qui ont raison, des raisons retournées, des sautes de vent, des phrases en suspens, des faux amis, des frères de sang, des aveux en poussière, des pays natals, des regrets d’être né, des triangulations, des identités remarquables, des maîtresses impénitentes, des paludes, des internationales, des débuts de roman.

Rencontre

Des trains se croisent sans se heurter, sans provoquer de catastrophe. Ils s’approchent l’un de l’autre. L’air claque de leur vitesse additionnée au moment où ils se frôlent, puis l’espace croit à nouveau entre eux, l’espace s’ouvre, englobe les gares, les tunnels, les prairies et, si la notion est maintenue, l’univers tout entier. Rêvant, considérant la courbure de l’espace, on pourrait imaginer une autre rencontre, tout ce qui s’éloigne finissant par se rapprocher, mais l’éternel retour entrant en jeu, la scène se reproduirait à l’identique. C’est sans compter que les trains s’arrêtent, sans compter la vie des gares, l’usure mécanique, les déraillements, sans compte le sillage de la mélancolie – le paysage entrevu et de suite rejeté, étiré, l’immobilité du corps guignant le défilement du monde  – et l’uchronie réalisée: tu es monté dans l’autre voiture, tu es descendu dans cette gare accueillante, inconnue.

Face

Personnages: toi, la table, une bouteille, le verre.

Temps: la nuit.

Lieu: la cuisine.

Action: aucune, le théâtre.